ANECDOTES FAMILIALES
Quelques moments de délire
 
Grand-mère Belleville | Le représentant | L'australien | L'éruption | Le télégramme | La disparition | Le visa

Dans toutes les familles, il existe des histoires, des situations qui après coup sont marrantes. Voici quelques anecdotes familiales. Certaines se sont déroulées à une époque assez ancienne pour que je ne m'en souvienne pas : elles m'ont été racontées plus tard. La plupart concernent des protagonistes aujourd'hui vivants et j'ai naturellement brouiller les pistes pour rendre les personnes non identifiables. Volontairement ou non, elles s'écartent un peu de la réalité, mais elles demeurent foncièrement véridictes. L'ordre n'est pas chronologique mais arbitraire.

GRAND-MERE BELLEVILLE (*)

En dehors de nous, ma grand-mère n'avait pas beaucoup de famille. Ayant perdu sa mère quand elle était enfant, et son père ne s'étant jamais vraiment occupé d'elle, elle fut élevée par sa grand-mère. Son attitude scandaleuse ( pensez donc vivre non mariée avec un étranger ! ), l'avait écarté du reste de sa famille. Son compagnon était décédé des années plus tôt. Bref, elle ne fréquentait guère que sa fille unique et ses petits enfants et passait tous les week-end à la maison.

Maman étant sur le point d'accoucher et papa devant travailler, il fallait que quelqu'un nous prenne en charge pendant ce temps. Comme nous étions déjà nombreux et turbulents, et que grand-mère n'aurait pas eu assez d'autorité, il fut décidé que ma tante viendrait passer une semaine à la maison. Cela posait un problème de place pour coucher tout le monde, il fallait, diplomatiquement, demander à grand-mère de rentrer pour une fois chez elle au lieu de rester comme d'habitude la nuit du samedi. Bien sûr, il était possible de la raccompagner et de retouner la chercher le lendemain, mais on avait pas encore oser le lui dire.

Ayant entendu cela, j'ai huit à neuf ans, je file voir grand-mère pour lui dire à peu près : "Mamie, c'est tata qui va nous garder, y'a plus de place pour toi, il faut que tu t'en aille". Grand-mère est partie, discrètement, sans un mot, et n'est pas revenue. Il faudra qu'elle apprenne le décès d'un membre de la famille, trois mois plus tard, pour qu'elle vienne aux obsèques dans l'espoir de voir sa fille et finalement accepter de revenir chez nous.

(*) Marie Arnould, ainsi surnommée car habitant à Belleville (quartier de Paris).

LE REPRESENTANT

De nos jours, lorsque vous achetez quelque chose à domicile ou par correspondance, vous disposez d'un délai de réflexion de sept jours pour changer d'avis et tout annuler, sans avoir à fournir la moindre explication. Dans les années soixante, cette protection du consommateur n'existait pas et votre achat était immédiatement définitif.

Des représentants, véritables bonimenteurs, écumaient les cités HLM à la recherche des gogos qui leurs achéteraient n'importe quoi dont ils n'avaient aucun besoin et qu'il auraient beaucoup de mal à payer. Ma mère, hélas, était une de leur victime, et nous ne comptons plus les achats inutiles à crédit qu'elle faisait au mécontentement assuré du père dont le salaire devait faire vivre une famille de dix personnes : photographies gratuites avec tirages et cadres obligatoires à un prix exhorbitant, pièces de tissu dans lesquelles personne ne taillerait aucun vêtement, dictionnaire médical incompréhensible, etc ...

A force de se faire réprimander, elle avait adopté une stratégie de défense efficace prétextant chaque fois qu'elle ne pouvait pas prendre de décision en l'absence de son mari. Le représentant, flairant la bonne affaire facile, finissait par proposer de repasser le soir quand le mari serait rentré du travail. Commençait alors pour nous une longue journée d'attente fébrile du moment fatidique car nous savions quel accueil lui était réservé. Pas question qu'une tâche quelconque ou qu'une envie pressante vienne nous gâcher le plaisir.

Le plus beau spectacle fût celui d'un représentant qui avait passé plus d'une heure à laver le carrelage de la cuisine, astiquer le parquet du salon pour vanter ses produits miraculeux. Expulsé manu militari en moins de temps qu'il faut pour l'écrire, il resta vingt minutes sur le palier à protester et pleurer misère avant de se résigner à quitter les lieux avec tout son matériel.

Quarante ans plus tard, ces représentants à domicile ont disparu depuis longtemps, mais je garde encore une méfiance instinctive des commerciaux.

L'AUSTRALIEN

Ce jour là, François (*) annonce à ses parents qu'il va partir quelques mois en Australie pour travailler à la construction de routes. Il a du donner congé de son appartement, mis ses meubles en garde et ses affaires personnelles sont déjà parties. Peuvent-ils l'héberger une quinzaine avant son départ ? Ses parents acceptent immédiatement. Leur fils va être absent longtemps, autant profiter de sa présence avant. Tiens, si on organisait un repas pour fêter le départ ! Ils téléphonent à tous leurs enfants pour les inviter à déjeuner le dimanche. Rapidement toute la famille et les voisins sont au courant.

Dimanche arrive, l'australien en est évidement la vedette. On le questionne, que va-t-il faire exactement là-bas ? Comment sera-t-il logé ? Combien sera-t-il payé ? Combien d'heures de vol ? Où arrive-t-il, Sydney ? ... Ce ne sont pas des questions pièges, juste de l'intérêt, et visiblement il ne connaît aucune réponse. Un soupçon commence à prendre corps, mais pas celui qui semble le plus évident. Non, l'impression est plutôt qu'il a accepté ce travail à la légère, sans lui-même poser les questions les plus élémentaires, en clair qu'il s'est fait arnaquer. Le mensonge, car s'en est un, est devenu trop gros pour être visible. Le lendemain, c'est le départ, au revoir, et n'oublie pas d'écrire souvent.

Dans l'après midi, le téléphone sonne, c'est sa mère qui prend l'appel. Le type qui appelle lui dit qu'il est un copain de François : "Votre fils habitait chez un autre copain, ils se sont engueulés et l'autre l'a viré, il ne sait pas où aller. Vous comprenez, madame, je veux bien l'héberger quelques jours mais j'ai une femme et des enfants, c'est à vous ses parents de l'aider."

L'Australie était une invention, son voyage n'aura pas duré longtemps, le soir même il rentrait au bercail.

(*) En réalité l'australien ne se prénomme pas François.

L'ERUPTION

Nous étions partis avec deux de mes frères, en vacances en Guadeloupe, et nous avions parlé de notre intention d'escalader la Souffrière, le volcan local, pour pouvoir admirer le paysage. En arrivant, nous apprenons qu'un volcan est en activité sur une autre ile des Antilles : Montserrat, située à environ 80 km de la Guadeloupe.

Quelques jours avant la fin de notre séjour c'est le drame : une éruption un peu plus violente que les autres provoque des victimes et des dizaines de blessés. Montserrat est une toute petite ile, son hôpital est situé dans la capitale Plymouth évacuée depuis longtemps car trop proche du volcan. Elle ne dispose plus que d'un hôpital de campagne au nord moins exposé. En application d'un accord d'assistance, les blessés graves qui ne peuvent être soignés sur place sont transportés par hélicoptère à Pointe-à-Pitre.

En métropole, l'éruption de la Souffrière de Montserrat passe aux actualités et l'information arrive jusqu'à nos parents. Certes, le commentateur parle d'une ile anglaise, mais il se trompe probablement car la Souffrière et Pointe-à-Pitre sont en Guadeloupe qui est française. Et les enfants qui ne téléphonent pas, sont-ils morts ou blessés ? Comment nos parents auraient-ils su que quatre volcans des Antilles portent le même nom, comment aurions-nous supposé qu'ils allaient apprendre la nouvelle et s'inquiéter alors qu'avant de partir nous ne connaissions pas l'existence de cette ile malgré deux ans d'activité de son volcan ?

En Guadeloupe nous ne risquions même pas de recevoir des cendres, le vent était contraire. Et le plus fort est que nous n'avons jamais escaladé "notre" Souffrière, le ciel toujours bouché au-dessus nous en avait dissuadé.

LE TELEGRAMME

Un vendredi vers 18 h, un télégramme arrive au domicile d'un parent. Le texte est sybillin : "Veuillez rappeler d'urgence au numéro xx". Appel donc vers ce numéro qui ne répond pas, qui ne répond pas ... Que se passe-t-il ? Le télégramme a été émis par la poste de Rueil dans les Hauts-de-Seine, et à Rueil à cette époque habite mon oncle Jean Bachelet.

Quelques mois plus tôt cet oncle a été victime d'un grave malaise cardiaque qui aurait pu lui être fatal, il doit la vie à une circonstance exceptionnelle : il se trouvait déjà chez son médecin pour une visite de routine. Il y a probablement un rapport. Appel donc chez lui qui ne répond pas non plus. Personne à son domicile ? C'est sûr ils sont tous à l'hôpital et c'est un voisin qui a envoyé le télégramme. Peut être que d'autres personnes de la famille ont des nouvelles ? Nouveaux appels, non, ils ne savent rien, mais ils vont aussi essayer de joindre ces numéros.

Toute la soirée tout le monde va téléphoner, se téléphoner, se re-téléphoner et se transmettre son inquiétude sans que jamais un de ces deux foutus numéros ne daigne répondre. Finalement, une décision est prise : un autre oncle, le plus proche, se rendra le samedi matin à Rueil, il y aura bien au moins un voisin pour le renseigner.

Samedi vers 10 h, appel téléphonique, c'est le présumé mourant au bout du fil qui se porte très bien. Seul problème : il appelle d'une cabine car son téléphone ne marche pas, un incendie de cave a fait fondre les fils. Quant au télégramme, mystère et boule de gomme !

Le mystère se dissipera le lundi matin quand enfin le numéro xx répond. C'est une société de crédit qui a envoyé le télégramme alarmiste avant de partir tranquilement en week-end. Un enfant du destinataire avait contracté un crédit auprès de cette société en donnant l'adresse de ses parents bien qu'il n'habitait plus chez eux. La société n'avait pas encore reçu le chèque mensuel qui avait pourtant bien été envoyé.

LA DISPARITION

Noémie (*) a décidé de s'installer en province et doit s'absenter quelques jours pour préparer son déménagement. Son fils Damien (*) ne peut raisonnablement pas manquer l'école et sera hébergé chez sa gand-mère qui habite le même quartier. Comme la grand-mère travaille et ne peut pas être présente à 17 h, Damien devra rester deux heures en étude à l'école en attendant qu'elle vienne le chercher.

Mais l'enfant a oublié de remettre la lettre destinée à son institutrice. Nouvelle disposition : Damien sortira à l'heure normale de l'école et devra immédiatement se rendre au domicile de son arrière grand-mère qui habite aussi le même quartier, où la grand-mère viendra après son travail. Il est suffisament grand pour parcourir seul les 200 mètres de trajet qui ne traverse qu'une rue secondaire où la circulation est faible. Tout se passe bien le premier jour, mais le deuxième ...

17 h 15
Damien est en retard, son arrière grand-mère déjà inquiète décide d'aller à sa rencontre. Elle parcourt lentement le trajet jusqu'à l'école, trouve porte close et rebrousse chemin sans l'avoir croisé.

17 h 30
De retour chez elle et Damien toujours absent, elle prévient par téléphone sa fille qui quitte prématurément son travail. L'enfant a désobéit et doit être parti jouer avec un copain.

18 h 00
La grand-mère est arrivée et entreprend de faire la tournée des copains connus de son petit-fils.

18 h 30
Damien est toujours introuvable depuis maintenant une heure et demie, la police est prévenue et prend tout de suite l'affaire au sérieux.

18 h 40
Arrivée des policiers et diffusion d'un avis de recherche avec description de l'enfant à toutes les patrouilles des environs.

18 h 50
La police, la famille et des voisins sont devant l'école et attendent un maître-chien. Rex (*) après avoir reniflé des vêtements de l'enfant recherche minutieusement sa piste. Va-t-il réussir à le retrouver ?

19 h 00
La porte de l'école s'ouvre sur un groupe d'enfants étonnés de tout ce manège. Immédiatement, Rex se précipe vers l'un d'eux en aboyant joyeusement, fier d'avoir accompli sa mission.

Comme tout le monde, vous avez oublié la lettre dans laquelle Noémie demande que son fils reste en étude à l'école jusqu'à 19 h. Dans l'après-midi Damien sort un mouchoir de sa poche et fait tomber cette lettre aux pieds de l'institutrice qui en prend connaissance. Elle n'a pas cru aux explications de l'enfant et supposé qu'il avait volontairement caché la lettre pour traîner dans la rue.

(*) Tous les prénoms sont changés.

LE VISA

Cette histoire n'est pas familiale mais mérite d'être racontée. Je me suis offert un voyage organisé au Mexique qui passe aussi par Cuba à l'aller et au retour. Nous sommes un groupe d'une trentaine de personnes, tous français sauf un. Serge (*) n'est pas touriste mais notre accompagnateur, il représente l'association organisatrice. Passons très rapidement sur l'essentiel du voyage malgré tout son intérêt, nous sommes à la fin du séjour dans l'aéroport de Mexico, prêts à reprendre l'avion pour La Havane.

Un à un nous passons au contrôle d'identité, passeport et visa mexicain. Serge est le dernier et présente ses papiers. En découvrant qu'il est de nationalité espagnole, les autorités de l'aéroport demandent aussi à voir son visa pour Cuba (les français n'en ont pas besoin). Et ce visa, déjà utilisé à l'aller, est par erreur valable pour une seule entrée à Cuba.

Comme nous avons encore beaucoup de temps avant le départ, les négociations s'engagent. Serge accompagne un groupe au Mexique pour la première fois mais est un habitué de Cuba depuis plusieurs années. Son association et lui-même y sont connus. Nous allons tenter de joindre l'ambassade cubaine : elle est fermée le week-end. Nous essayons d'argumenter que le problème concerne exclusivement Cuba et pas le Mexique, que nous pourrons le règler à l'arrivée : refus de laisser Serge embarquer. Nous proposons d'envoyer un télex à La Havane, à nos frais, pour demander aux autorités cubaines d'autoriser l'embarquement : nouveau refus, pas de télex. Le temps a passé vite et en désespoir de cause Serge nous incite à continuer le voyage sans lui.

Nous sommes tellement énervés que nous avons décidés de laisser un souvenir de notre passage même si cela doit être un baroud d'honneur. Dans le sas d'accès, juste devant la porte de l'avion, nous nous asseyons parterre en refusant d'y entrer. Nous savons que l'un des responsables de l'aéroport parle un peu le français, il va revenir longuement parlementer. Quand nous comprenons qu'ils se sont décidés à nous faire évacuer par la police, nous levons le siège. L'avion a déjà une bonne demie heure de retard. Nous voilà sur le départ sans Serge, nous sommes moins un.

C'est alors que Christine (*), la petite copine de Serge, va nous révéler un détail que nous ignorons tous : elle est malade. Jusqu'alors elle a tenu le coup mais, à l'idée de partir sans son mec, elle pique une crise de tétanie. Nadine (*) fait partie du groupe et est médecin. Elle comprend la nature de la crise, cherche dans le sac de Christine, découvre des médicaments adéquats et les lui administre. Revoilà le même responsable visiblement excédé d'autant plus que nous allons lui reprocher d'être coupable. Puis entre le médecin de l'aéroport : il examine la malade, vérifie quels médicaments elle vient d'avaler et décide qu'elle peut quand même prendre l'avion. C'est compter sans le commandant de bord qui refuse catégoriquement d'emmener une malade. Et Christine débarque suivie de Nadine qui en tant que médecin ne veut pas la laisser seule. L'avion a pris une nouvelle demie heure de retard. Nous voilà sur le départ sans Serge, sans Christine, sans Nadine, nous sommes moins trois.

L'appareil roule vers la piste et attend de pouvoir décoller. L'attente est très longue, au moins trois quart d'heure, puis des autocars approchent. Tous les passagers débarquent pour retourner à la case départ. Cette fois-ci nous n'y sommes absolument pour rien : c'est un problème mécanique. Trois nouvelles heures pour affrêter un autre appareil. Entre temps, Christine qui va mieux, et Nadine nous ont rejoint. Enfin nous nous envolons en admirant Mexico de nuit. Pour nous l'histoire s'arrête là, Serge nous racontera la suite un mois plus tard à Paris.

Un seul vol par semaine effectue la liaison Mexico - La Havane. Serge ne peut plus nous rejoindre à temps pour rentrer en France deux jours plus tard. Il lui faut donc regagner Paris par un autre itinéraire qui pour son malheur traverse les Etats-Unis. Le voici entre deux avions à l'aéroport de Chicago pour une longue escale. Il s'y promène si bien qu'il se perd complètement et risque de nouveau de rater son avion. Ouf, deux policiers américains sont sur son chemin. Ils vont sûrement pouvoir l'aider même s'il ne comprend pas l'anglais. Hélas, sans s'en être rendu compte ni savoir comment, il est sorti de la zone de transit international. Comme il ne possède évidement pas l'ombre d'un visa d'entrée aux Etats-Unis, il est devenu un immigré clandestin. Et, beaucoup plus grave, son passeport garde la trace d'un récent séjour à Cuba !

Incapable de s'expliquer, il est arrêté et passera la nuit en cellule. Le lendemain un interprète parlant l'espagnol, lui permettra de raconter ses mésaventures. Tout sera minutieusement vérifié : sa nationalité espagnole, sa résidence en France, son histoire au Mexique. Comme il ne transportait rien de dangereux, comme il s'était présenté de lui-même aux policiers, comme il n'avait opposé aucune résistance à son arrestation, comme l'Espagne, la France et le Mexique confirment, il finira par être cru et sera autorisé à repartir. Cette fois aucun risque de se perdre, un policier l'accompagne jusqu'à la porte de l'avion.

(*) Tous ces prénoms sont bien entendu inventés.

Marie ARNOULD à 24 ans Marie ARNOULD 1892-1961 Dédié à la mémoire de Marie Augustine Amélie ARNOULD, la plus merveilleuse des grand-mères, qui malgré ses faibles revenus nous apportait toujours quelque chose. Elle qui croyait que les speakerines de la télévision pouvaient nous voir leurs faire des grimaces n'aurait jamais pu imaginer qu'un jour sa photographie serait diffusée à la Terre entière.
 
Grand-mère Belleville | Le représentant | L'australien | L'éruption | Le télégramme | La disparition | Le visa